AU CINÉMA LE

11 DÉCEMBRE 2015

Madeleine, 92 ans, décide de fixer la date et les conditions de sa disparition. En l’annonçant à ses enfants et petits-enfants, elle veut les préparer aussi doucement que possible, à sa future absence. Mais pour eux, c’est le choc, et les conflits s’enflamment. Diane, sa fille, en respectant son choix, partagera dans l’humour et la complicité ces derniers moments.

Synopsis

AU CINÉMA LE 11 DÉCEMBRE 2015

Entretien avec Pascale Pouzadoux

  © JEAN MICHEL NOSSANT-SIPA

D’où est venue l’envie d’aborder la mort volontaire en fin de vie ?

J’ai lu La Dernière Leçon, le livre de Noëlle Châtelet il y a dix ans et comme beaucoup de gens, j’ai été bouleversée. J’avais moi-même accompagné un ami en fin de vie – mais dans mon cas, il s’agissait de quelqu’un de malade, et de jeune. J’avais trente ans, j’étais novice sur l’approche de la mort et j’ai eu la sensation de rater des choses. Le livre de Noëlle Châtelet m’a confirmé qu’elle et sa mère avaient partagé bien plus de choses que mon ami et moi et cela me paraissait fondamentale. J’ai donc eu envie d’en faire un film, à la fois pour transposer mon expérience et transmettre l’importance de vivre au maximum au présent afin de ne pas regretter les gens à leur mort. On ne peut rien contre le manque et la tristesse de l’absence mais avoir des regrets, c’est terrible.

 

Pourquoi tout ce temps entre le désir et la réalisation effective de cette adaptation ?

J’ai essayé d’avoir les droits du livre à l’époque mais Noëlle a refusé – comme elle a refusé à d’autres cinéastes qui l’avaient approchée. Elle venait de vivre cette histoire, c’était trop tôt pour elle de la voir transposée à l’écran. Alors je suis partie sur d’autres projets, mais je continuais à penser à cette histoire. J’ai donc persévéré 10 ans plus tard et là, j’ai eu de la chance. Je suis tombée au bon moment…

 

Comment s’est passée la rencontre avec Noëlle Châtelet ?

Le fait que j’ai réalisé des comédies, l’a beaucoup intéressée car elle souhaitait la présence du rire dans cette histoire, elle voulait absolument dédramatiser la mort. Et puis sa mère était comme ça. C’était quelqu’un de très drôle et elles ont énormément ri dans cette aventure, même si ça ne se voit pas forcément toujours dans le livre – sans doute car Noëlle l’a écrit tout de suite après les événements. Pour elle, il était hors de question que ce film soit plombant ou juste émouvant.

 

Noëlle Châtelet avait raison de vous faire confiance, vous n’avez pas oublié le registre de la comédie...

L’humour est un prisme pour pouvoir supporter la condition humaine. Pourquoi certains films sont difficilement soutenables quand ils deviennent dramatiques et abordent la mort ? Parce que le réalisateur en a retiré le rire et la vie. Mais la mort, ce n’est pas ça. Quand elle devient imminente, un sentiment de survie et de dernier souffle extrêmement puissant s’installe à l’intérieur du corps et on se dit : « carpe diem. » Ma référence était Les Invasions barbares, un film dramatique mais tout le temps drôle.

 

Vous faites ce film dans le même esprit que Noëlle Châtelet a écrit son livre : pour défendre une cause...

Bien sûr. J’ai vraiment fait ce film pour qu’un jour, les personnes âgées puissent être libres, si elles le veulent, de partir sans souffrir. Ca aussi, ça plaisait à Noëlle Châtelet, qui a repris le flambeau de sa mère, qui était militante et avait créé l’ADMD, l’Association du Droit à Mourir Dignement.

 

Comment ont réagi, Marc Missonnier et Olivier Delbosc, vos producteurs, vous qui les aviez habitués à des sujets de comédie pure ?

Ils ont senti que ce changement de registre était extrêmement sincère, que j’étais en absolue connexion avec le sujet et ils ont foncé avec moi, spontanément, sans réfléchir. En même temps, on ne partait pas de rien mais d’un bestseller ! Ils ont pris des risques, on est parti avec peu d’argent. Je leur dis un énorme merci.

 

Comment crée-t-on des personnages singuliers et une histoire pleine de rebondissements à partir d’une matière littéraire davantage de l’ordre de l’introspection ?

Tous les gens auxquels j’ai fait lire le livre avant d’écrire le scénario me demandaient comment j’allais faire, que c’était impossible ! Le livre est effectivement un dialogue poétique entre deux femmes qui sont très rapidement d’accord, on n’y trouve pas de situations cinématographiques. Si je l’avais filmé tel quel, j’aurais fait un documentaire, filmé des objets échangés entre une mère et sa fille qui l’accompagne jusqu’à la mort... Mais moi, je voulais faire un film de fiction, avec des objectifs, des conflits, des points de vue qui s’opposent. J’ai écrit toute seule un traitement fleuve. Et puis le scénariste Laurent de Bartillat est intervenu. Il m’a aidée à scénariser, à être plus construite. On a également beaucoup interviewé Noëlle et sa soeur, ainsi que des amis encore en vie de Mireille Jospin. Leurs témoignages nous ont énormément nourris.

 

Comment avez-vous choisi Laurent de Bartillat?

Je voulais quelqu’un qui ait une haute et noble idée du cinéma, qu’on ne soit pas juste dans le ludique. Quand j’ai vu le CV de Laurent, j’ai aimé son hétéroclisme : il a fait de la photo, écrit des livres… Et quand je l’ai rencontré, j’ai su en deux secondes que ce serait lui car il m’a dit : « J’ai perdu mon père il y a six mois et j’ai vécu toute la phase d’accompagnement…»

 

Au-delà de la question de la fin de vie, le film raconte la manière de faire son deuil, quelles que soient les circonstances...

La première version du scénario était beaucoup plus didactique mais Laurent m’a dit : « Tu toucheras plus les gens en étant porteuse d’un message plutôt qu’en faisant un film militant. » Et donc on a fait en sorte que la question du choix de la fin de vie soit élargie, comme un arbre ramifié en plein de branches, avec des feuilles grâce auxquelles on infiltre une vision plus vaste de la mort. Ce travail a nécessité une très longue réflexion, plus de deux ans d’écriture

 

Noëlle Châtelet suivait le projet de près ?

A partir du moment où elle m’a donné les droits, j’aurais pu débarquer un an et demi plus tard sans jamais l’avoir appelée. Mais c’était à la fois un plaisir et une souffrance pour elle que son livre devienne un film – elle décrit très bien cette dualité dans son livre Suite à la dernière leçon. Elle avait peur d’être dépossédée mais ne voulait pas pour autant une collaboration, juste un compagnonnage. Du coup, je l’ai tenue au courant. Et quand des choses la gênaient au scénario, elle le disait.

 

« Inspiration libre du livre de Noëlle Châtelet transposée dans une famille fictive » est-il précisé dans le générique de fin...

L’important était que le film représente philosophiquement l’idée de Mireille Jospin, mais pas dans les faits. Noëlle et ses frères et soeurs ne voulaient pas qu’on les reconnaisse, et effectivement, ce ne sont pas eux – traiter un frère qui fait de la politique n’était pas le sujet. On a donc créé autour du noyau mère-fille du livre une famille fictive, composée de protagonistes aux points de vue très différents. D’où la fille qui est une intello face à un frère qui fait des affaires. Et un beau-frère épicurien qui ouvre un restaurant pour ramener de la vie.

 

Vous avez accentué ce que l’on sent déjà très fort dans le livre : la liberté de Madeleine, cette femme sage-femme à la tête des combats les plus modernes...

Mireille Jospin n’avait effectivement peur de rien. Elle appartenait à une génération de femmes qui se sont battues pour tout : la liberté de leur corps, l’émancipation sociale, l’égalité... A côté, nous, on est vraiment des princesses fragiles ! Il était extrêmement important de comprendre que l’acte de Madeleine est militant, comme celui des amants du Lutetia l’année dernière, qui se sont donné la mort après avoir écrit une lettre au Procureur de la République pour qu’on laisse enfin les personnes âgées mourir comme ils le veulent. Elle ne lâche jamais. Sans cette dimension de combattante, sa détermination à mourir n’aurait pas forcément été crédible.

 

Madeleine peut d’autant plus aborder la mort sereinement qu’elle a pleinement vécu sa vie...

Effectivement, Madeleine est complètement épanouie, comme elle le dit dans le texte qu’elle lit à ses enfants à son anniversaire. J’ai repris le vrai texte de Mireille Jospin, que m’a donné Noëlle Châtelet, et qui explique en substance : j’ai réussi ma vie, j’ai adoré mon métier de sage-femme, mon mari m’a rendue heureuse, j’ai la chance de vous avoir ici présents en bonne santé… C’est un constat ultra positif de la vie.

 

La Dernière Leçon raconte aussi la complicité entre une mère et sa fille.

Ce lien fusionnel et fraternel à la mère, et aux femmes en général est un point commun que je partage avec Noëlle. Ma mère m’a appris à être une âme soeur des femmes.

 

Cette complicité est très charnelle, notamment lors de la scène du bain.

Je suis assez tactile de nature, m’a mère m’a beaucoup câlinée, embrassée. Quand j’accompagnais cet ami dans la maladie, j’avais plus facilement l’attitude de le toucher que de lui parler. Les infirmiers m’ont confirmé que les massages aidaient les malades, qu’il ne fallait pas hésiter à les prendre dans les bras, les soulever, les câliner, masser leurs pieds, leur crâne. Cet aspect charnel fait partie de la thérapie de la fin de vie. Malheureusement, on ne touche généralement pas assez les malades. Soit parce qu’on a peur d’être soi même malade, soit parce qu’on a peur de la mort, du corps mortel.

 

Le personnage de Victoria, l’aide ménagère insuffle de la vitalité dans le film, ainsi qu’une autre culture, un autre rapport à la mort… Comment est né ce personnage qui n’existe pas dans le livre ?

Mireille Jospin avait une passion pour l’Afrique – justement parce qu’ils n’ont pas le même rapport à la vie et à la mort. Alors on s’est dit que ce continent devait être présent dans le film. Mais où, comment ? Dans la vie, la deuxième fille de Mireille Jospin, Agnès Volvet habitait à côté de chez elle et l’aidait beaucoup au quotidien. C’était bien qu’il y ait une trace d’elle dans le film mais pas sous la forme d’une deuxième fille, cela aurait dilué complètement l’action. Du coup, elle est réincarnée dans cette dame de compagnie africaine ! Avec son physique de nounou, on a tout de suite envie de se réfugier dans ses bras.

 

Vous prenez des libertés un peu burlesques, notamment quand Madeleine accouche une femme sans papiers sur un banc de l’hôpital...

C’est de l’invention pure mais là encore directement inspiré du tempérament de Mireille Jospin ! Elle partait dans la brousse accoucher bénévolement des femmes, elle y a vécu des situations abracadabrantes et on s’est dit que cette urgence de donner la vie devait être à l’écran, d’autant plus qu’elle mettait en parallèle l’IVG et l’IVV (interruption volontaire de vie), le début et la fin de la vie. Noëlle était complètement enthousiaste vis-à-vis de cette scène et l’on a tout fait pour qu’elle soit un peu drôle. Toujours cette volonté d’injecter de la vie. Madeleine panique, fatigue, a peur de ne pas y arriver. Finalement, elle est plus à plaindre que la femme qui accouche, il y a comme un échange des places.

 

Dans son accompagnement, Diane expérimente le sentiment de culpabilité...

Oui, notamment par le biais des cauchemars, surtout celui très violent où elle pense qu’elle tue sa mère et qui surgit au moment où elle l’aide à s’acheter les médicaments. Ce qui n’a pas été le cas dans la vraie vie, mais on a voulu pousser le curseur, accentué le conflit : à un moment le frère retire l’arme du crime que sont les médicaments, la soeur la redonne, et plonge dans la culpabilité. Dans les articles et les livres qu’on a lus, ou les témoignages qu’on a recueillis, tous les gens ressentent à un moment donné ce sentiment à plus ou moins haute dose. Noëlle aussi l’exprime à sa façon dans le livre.

 

Le passage de l’écrit à l’écran pose la question cruciale de la représentation de la vieillesse, de jusqu’où on va aller dans la matérialisation de la décrépitude physique…

On s’est évidemment posé ces questions non seulement à l’écriture mais tout le temps du film. C’était très délicat de trouver le juste milieu entre quelqu’un qui souffrirait atrocement d’un cancer en phase terminale et quelqu’un qui pourrait encore être dans son fauteuil, regarder la télé et faire des gâteaux à ses petits enfants. Madeleine n’est pas à l’article de la mort mais il fallait néanmoins que la fatigue soit assimilée à une maladie, qu’on ressente qu’elle est dans un épuisement insupportable. On a réfléchi aux actrices autour de quatrevingt cinq ans mais qui font vraiment dame âgée, avec des cheveux blancs. C’est notre distributeur qui nous a donné l’idée de Marthe Villalonga. Non seulement elle fait vraiment grand-mère, mais en plus elle est très populaire et suscite d’emblée la sympathie.

 

Comment l’avez-vous dirigée ?

Marthe est avant tout connue pour ses rôles comiques mais elle n’a pas forcément l’accent pieds-noirs et l’oeil qui frise, elle peut aussi être bouleversante, droite, sobre. Il n’empêche, elle a quatre-vingt deux ans, donc dix de moins que le rôle, et surtout une vitalité incroyable – limite plus que nous ! J’étais donc souvent obligée de lui demander d’être moins dynamique. C’était important de trouver le bon équilibre, je l’ai dirigée au millimètre près. Et on a continué à sculpter le personnage au montage.

 

Sa force de vie permet de comprendre la réaction de son fils, qui trouve prématuré son désir de mourir...

C’était une volonté absolue que ce film ne porte aucun jugement sur quiconque. L’héroïne, c’est la mort, c’est elle qui va gagner et face à elle, tout le monde réagit comme il peut, notamment selon la relation qu’il a eue avec ses parents. Si, pour une raison ou pour une autre, on leur en veut depuis l’enfance, comme c’est le cas pour le fils dans le film, on n’acceptera jamais une telle décision, on la vivra comme un abandon supplémentaire. Si au contraire, comme Diane, on a eu une relation harmonieuse, on va basculer de leur côté. Je tenais à ce que tous les cas de figure existent…

 

... et toutes les générations...

Oui, l’objectif était que le regard sur la mort soit porté par toutes les générations, d’où le personnage du petit-fils, qui est au début du côté de sa grand-mère, puis à un moment murit et se rétracte. Et aussi la présence des petites-filles, dont l’une voit la mort de manière poétique quand elle fait semblant de dormir pour imaginer ce que ça veut dire que d’être morte.

 

Et la rencontre entre Marthe Villalonga et Sandrine Bonnaire ?

Elles avaient déjà joué une scène ensemble dans Les Innocents de Téchiné et étaient très contentes de se retrouver. Elles ont été tout de suite extrêmement complices et connectées. Ce sont deux personnes très attachantes, la relation était simple, spontanée et évidente, même si elles avaient deux façons de travailler très différentes. Sandrine est une actrice instinctive et animale qui donne tout à la première prise. C’est l’école Maurice Pialat, elle ne joue pas en fait. Marthe au contraire, a été à l’école du théâtre.

 

Et Gilles Cohen pour jouer le mari de Diane ?

J’ai une passion pour cet acteur. Dans la vie, il est très drôle mais au cinéma, il n’a que des rôles de fou dangereux dans des polars. Alors j’ai voulu lui donner un rôle de comédie. J’adore jouer les contre-emplois. Pareil avec Antoine Duléry, qui lui au contraire est a priori un acteur de comédie – hormis dans Des Vents contraires où il était exceptionnel de souffrance et d’émotion. Donc lui, j’ai eu envie de lui faire faire la trajectoire inverse de Gilles : l’amener dans le drame. J’aime que les registres soient ainsi mélangés, et que les acteurs viennent d’horizons très différents. Cela produit une alchimie contradictoire.

 

A partir du moment où Diane accepte la mort de sa mère, la vie s’empare encore plus du film...

Oui, le conflit et la colère laissent place à la légèreté et à la joie de vivre : elles ont faim, l’envie de boire, de rigoler... D’où mon désir de faire de plus en plus entrer la lumière alors que le film avance pourtant vers la mort. Jusqu’à arriver à une lumière très solaire quand Madeleine est allongée sur son lit et que Victoria lui explique que les morts ne sont pas morts, qu’ils sont réincarnés dans l’eau du robinet qui coule, dans le chat ou la forêt… Pareil dans la scène qui suit, quand Madeleine et Diane mangent des huitres : la lumière est translucide, la légèreté absolue.

 

Outre la lumière, quels étaient vos partis pris de mise en scène ?

Les deux mots d’ordre pour moi étaient : simplicité et sobriété. Un peu l’inverse de ce que j’ai fait jusque là, où j’étais davantage dans la surenchère et fuyais le réalisme car la réalité m’attristait et me faisait peur. J’usais d’artifices aussi de peur d’ennuyer les autres. Mais mon producteur pendant le film me l’a répété cent fois : « Fais toi confiance. » et j’ai essayé de suivre son conseil. Pour la première fois de ma vie, je n’ai pas cherché à être absolument dans l’efficacité. J’ai osé les silences, les regards qui parlent à la place des dialogues, les plans séquences, avec le moins de musique possible.

 

Et le film de famille dont on voit des bribes ?

La Dernière Leçon est aussi un film sur le temps qui passe, d’où l’envie de flash-backs, cet outil cinématographique merveilleux qui permet de revenir en arrière instantanément et d’entrechoquer les temporalités. Il fallait absolument qu’on ait l’émotion de voir cette famille réunie, comme quand on regarde les photos de son enfance.

« Où étaient passés mes pleurs ? Moi qui craignais de ne jamais y arriver, la peur de la mort avait disparu. Le deuil était fait. » Cette phrase de fin exprime que choisir sa mort est aussi une manière d’y préparer les vivants.

La phrase en off peut paraître un peu utopique, elle veut dire : le deuil avait déjà commencé…

 

Propos recueillis par Claire Vassé

Comment s’est passée la rencontre avec Pascale Pouzadoux ?

On m’avait déjà proposé des adaptations de La Dernière Leçon à la sortie du livre mais je n’étais pas prête, sans doute, et mes frères et soeur ne l’étaient pas davantage. Mais quand Pascale est arrivée onze ans plus tard, j’ai tout de suite dit oui. Parce que le temps avait passé mais aussi en l’entendant parler. Ou plutôt en voyant le livre qu’elle a posé sur la table dans le restaurant devant moi : La Dernière Leçon, en format poche, tout usé… On avait l’impression qu’elle avait vécu avec lui ! J’ai senti qu’elle était dans une nécessité de faire quelque chose de ce livre qui l’avait beaucoup touchée, que c’était un vrai désir.

 

De la part d’une réalisatrice de comédies, avez-vous été étonnée ?

Oui, mais pas tant que ça ! La Dernière Leçon est bien sûr un livre sur la mort et son apprentissage mais c’est aussi un hymne à la vie dans lequel il y a beaucoup de rires. Décider d’une belle mort, dans un dernier acte de vie, tel était le souhait de notre mère.

 

Mais qui est encore compliqué à appliquer en France...

Oui, il y a un vrai travail de fond à faire sur la question et c’est surtout pour cette raison que j’ai accepté la proposition de Pascale. Je me suis dit que le film allait porter le débat au-delà du livre, qui avait déjà eu un grand écho. On allait encore gagner en audience et en conviction sur ce sujet qui m’importe tant. Car pendant ce temps qui a passé depuis la sortie de La Dernière leçon, je me suis engagée dans un combat moral et citoyen pour le droit à une aide active à mourir. Ma mère, une des co-fondatrice de l’ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) était à au comité de parrainage de l’association et elle partie, j’ai accompagné le livre La Dernière Leçon partout en France pendant deux ans de ma vie, menant cette réflexion sur la nécessité du bien mourir… Progressivement, j’ai repris le flambeau de ma mère sur le droit à une mort choisie. 90 % des Français d’ailleurs sont prêts pour que la loi aille plus loin mais les législateurs résistent encore.

 

Par ses aspects comiques et la présence de Marthe Villalonga, le film a la dimension populaire propice à justement mettre le débat sur la place publique.

Oui, et c’est ce que je désirais. Je ne voulais pas d’un film trop élitiste, trop esthétisant. Je voulais que chacun, en le voyant, y soit accueilli simplement. D’emblée, Pascale et moi avions à coeur que le film permette l’émotion sans pour autant tomber dans le pathos. Et c’est ce qu’elle a réussi : il y a du rire dans le film – comme il y a eu du rire dans la véritable histoire.

 

« Inspiration libre du livre de Noëlle Châtelet transposée dans une famille fictive » est-il précisé dans le générique de fin...

Oui, en effet, il me fallait pour cela accepter le passage de la réalité à la fiction. Avec l’idée d’une famille qui ne serait pas la mienne, dont chaque membre fictif permettrait de porter un regard différent sur le geste de cette vieille dame, comme autant de miroirs de la société actuelle face à cette question.

 

Et que vous qualifiez d’« intrus » dans Suite à La Dernière Leçon, un récit qui relate avec précision et lucidité la manière dont vous avez vécu l’aventure de ce film…

Oui, il est vrai que j’ai eu du mal à accepter ces « intrus » dans mon histoire, notamment ce frère si hostile à la décision de sa mère – ce qui n’était pas du tout le cas dans la vie réelle. La famille que met en scène Pascale est donc très loin de la mienne mais l’esprit du livre est là, dans la justesse de ce couple mère-fille, la manière dont la mère prend sa fille par la main pour lui donner la dernière leçon qui lui manquait, celle de la défusion. Madeleine et Diane apprennent ensemble, elles dialoguent jusqu’au bout dans le rire et l’empathie…

 

Avez-vous suivi le projet de près ?

J’ai très vite développé des rapports de confiance et d’amitié avec Pascale. Et j’ai commencé à m’intéresser beaucoup à ce qui allait se passer. Pascale est venue chez moi pendant des semaines, puis avec son co-scénariste Laurent de Bartillat. Je les ai nourris d’anecdotes et de récits qui n’étaient pas forcément dans le livre, mais qu’il me semblait importants de partager, parfois même dans un rapport de confidence. Et puis ils sont partis écrire de leur côté.

 

Dans Suite à La Dernière Leçon, vous racontez avec beaucoup d’humour votre réaction à la fois positive mais aussi très vive après la lecture de leur scénario...

Il y a eu une grande réunion à la production pour discuter du scénario et le valider. Comme je le raconte dans le livre, j’avais fait une liste de tout ce que j’aimais et tout ce que je n’aimais pas. Je me disais qu’il fallait que je défende quand même certaines choses et effectivement, je me suis laissée un peu emporter ! J’ai notamment critiqué certaines façons de s’exprimer que je trouvais trop triviales... J’ai donc dit ma vérité – qui a été entendue – mais j’ai aussi été convaincue par les arguments des scénaristes. Et en premier lieu par le fait que Pascale était l’auteur du film, je devais lui laisser sa liberté d’auteur. Cette réunion a été fondamentale : j’ai pris conscience de mes propres résistances à lâcher cette histoire, mon histoire qui m’appartenait et ne m’appartenait plus…

 

Et du coup, vous avez eu envie d’écrire un livre, Suite à La Dernière Leçon, en parallèle à la fabrication du film de Pascale Pouzadoux…

Oui, ce sentiment de dépossession et d’étrangeté que j’éprouvais m’a paru intéressant à analyser et cette impression s’est confirmée grâce à ma mère, si je puis dire… Oui, il m’a paru comme une fulgurance, le 5 décembre 2012, jour anniversaire de la mort de ma mère, que j’avais un rôle à jouer dans l’adaptation qui était en train d’être faite du livre. Alors j’ai pris des notes sur ce qui s’était déjà passé et j’ai commencé à tenir une sorte de journal intime de l’aventure qui progressait. Avec tous les aléas de la création d’un film, que Pascale me faisait très généreusement partager.

 

Cette Suite est-elle une manière de faire le deuil votre histoire ?

Peut-être pas le deuil mais l’abandon et le leg, oui. Dans le fond, ce livre est l’histoire d’une passation et d’une donation dont j’avais déjà fait l’expérience dans l’écriture de La Dernière Leçon : à partir du moment où l’on écrit, même sa propre histoire, elle appartient aux autres. Mais le film de Pascale poussait cette dépossession encore plus loin. Pendant plusieurs mois, un scénario s’écrivait – différent de mon histoire mais quand même, c‘était mon histoire !– , sans savoir quelles actrices allaient nous représenter ma mère et moi… J’étais dans un flou et inconfort moral et psychique, une sorte de déséquilibre. J’ai connu alors de grands moments de désarroi.

 

Même si Pascale Pouzadoux a fictionnalisé votre récit, on sent que nombre de phrases l’ont accompagnée dans ce travail d’adaptation...

Les quelques jours qui ont précédé le tournage, Pascale est allée à la campagne, d’où elle m’a appelée pour me dire qu’elle relisait mon livre. Cela m’a touchée et rassurée qu’elle revienne à la source de cette histoire, dans sa vérité. Je pense qu’elle en avait besoin pour le film, de même qu’elle a eu besoin de parler énormément avec son équipe technique, ses comédiens afin de les préparer à cette histoire pas évidente.

 

Votre mère et vous gardez les mêmes métiers dans le film : sage-femme et enseignante…

Oui, il n’eut pas été possible que Madeleine ait un autre métier. Qui mieux qu’une sagefemme sait ce qu’il en est de la vie et de la mort ? Ma mère me disait d’ailleurs : « On entre dans la vie avec des fleurs et des cadeaux, pourquoi n’en sort-on pas de la même manière ? » Pour elle, c’était un seul et même geste. Arriver et partir, la boucle est bouclée.

Il était aussi important que Diane reste professeur parce que c’est un métier où la question de la transmission et de la passation est fondamentale. On est donc dans la même maïeutique chez la mère et la fille : faire accoucher les corps ou les esprits…

 

Comment avez-vous reçu la scène où Madeleine accouche une femme sur un banc de l’hôpital ?

Elle confine au burlesque mais dans l’esprit, elle est vraisemblable. Je vois très bien ma mère accouchant dans l’urgence une femme avant que les médecins arrivent, retrouvant ses gestes de toujours. Madeleine est un personnage hors norme mais ma mère l’était ! A quatre-vingt quatre ans, elle est allée au fond de la brousse au Mali pour aider à la création d’une maison d’accouchement – où elle a fait un dernier accouchement…

 

Quelle a été votre réaction quand Sandrine Bonnaire et Marthe Villalonga ont été choisies pour vous représenter à l’écran, vous et votre mère ?

Sandrine, ça a été tout de suite une évidence. Pour Marthe Villalonga, le chemin a été plus long à faire mais après coup, je trouve ce choix très convaincant. Marthe a cette dimension de mamma dans le coeur des Français. Et comme ma mère, elle a un côté frondeur et rebelle. J’ai rencontré Marthe et Sandrine lors d’un déjeuner avec Pascale. Quand je les ai vues toutes les deux en face de moi, si complices, elles étaient déjà ma mère et moi. C’est vertigineux. On s’est tout de suite bien entendues et on a beaucoup parlé, notamment de la dimension morale et citoyenne que je donnais à ce film, au livre dont il était l’adaptation et à la Suite que j’étais en train d’écrire…

 

Le choix de Marthe Villalonga, moins âgée que le rôle et très porteuse de vie, outre de rendre justice à la propre vitalité de votre mère permet de comprendre mieux le fils, qui reproche à sa mère de vouloir partir trop tôt...

Oui, le film permet de s’approprier le débat et de se demander jusqu’où on peut aller, un « jusqu’où » qui appartient à chacun d’entre nous. Ma mère aussi est partie trop tôt, d’une certaine manière. Elle aurait peut-être pu vivre encore. Je lui posais sans arrêt la question pendant les trois mois du compte à rebours : « Tu es sûre que c’est pour maintenant ? – Oui, moi seule le sais. » Cet acte qu’elle devait faire seule puisque la loi ne l’autorise pas, elle avait peur de ne plus avoir la force physique de l’accomplir.

 

L’acceptation de la décision de sa mère par Diane vient aussi du fait qu’elles entretiennent un lien très fort, très charnel...

Oui, il y a du corps dans tout cela. Cette dimension est très belle dans le film, notamment dans la scène de la salle de bain, au moment où Diane déshabille sa mère pour l’aider à prendre son bain et voit alors ce corps qui souffre, complétement meurtri par l’extrême vieillesse.... Elle comprend alors que sa mère est vraiment au bout de ce qu’elle peut vivre, physiquement et moralement. Elle éprouve enfin de l’empathie. Elle s’oublie elle et voit sa mère comme si elle était en elle. Elles se retrouvent presque dans le même corps quand elles se baignent ensemble. Leurs corps se mêlent et la fille apprend qu’elle aussi va vieillir, qu’elle est mortelle. Ces enlacements, cette posture d’encastrement mère-fille sont extrêmement importants pour comprendre comment cette leçon a pu s’apprendre malgré la difficulté que ça représentait.

 

Suite à la Dernière leçon est aussi le récit d’un tournage auquel vous avez assisté…

Pascale et toute son équipe ont a été incroyablement généreux d’accepter ma présence. En général, les auteurs on ne les aime pas trop sur un tournage ! Mais ils ont senti que je ne venais pas en critique. Ils m’ont laissé ma place, je ne me suis pas sentie exclue.

Quand on n’est pas du métier, on ne sait pas toujours ce qui se passe sur un tournage. Grâce à ce livre, j’ouvre une fenêtre pour que les lecteurs et les spectateurs de La Dernière Leçon m’accompagnent dans cette aventure.

 

Comment Sandrine Bonnaire et Marthe Villalonga ont-elles vécu votre présence ?

Pascale m’avait demandé de ne venir qu’au bout de quinze jours ou trois semaines pour les laisser s’installer dans leurs rôles. J’étais comme une petite souris au début, derrière le combo, près de la scripte. Je prenais des notes et de temps en temps, Marthe et Sandrine venaient vers moi… Elles m’ont toutes les deux dit que ma présence les avait galvanisées – si je les avais dérangées, il était entendu, avec moi-même, que je ne reviendrais pas. Sandrine m’a dit un jour : « Il faut que je sois à la hauteur de ce que tu as vécu.»

 

Elle vous demandait des conseils ?

C’est plutôt moi qui me suis autorisée à quelques remarques sur mon état d’esprit d’alors, mais très peu, ce n’était pas mon rôle. J’ai éprouvé une grande douceur à être là, dans cette délicieuse situation du dehors-dedans. J’étais à la fois celle qui avait vécu la chose et celle qui était en train de le lâcher. Je me transformais, me préparais à être une future spectatrice lambda.

 

Quelle a été votre réaction à la vision du film ?

Pendant ces deux ans et demi qu’a duré l’aventure du film, j’étais à fleur de peau, les images de ce que j’avais vécu sont remontées et sont venues percuter celles du film quand je l’ai vu la première fois. J’ai pleuré beaucoup mais c’était très compliqué de comprendre la nature de mon émotion. Etait-elle due au souvenir ou au travail d’artiste de la réalisatrice et des comédiennes ? J’avais éprouvé la même interrogation pendant le tournage. Est-ce que j’étais émue parce que je me souvenais que j’avais vécue cette scène ou par ces deux comédiennes magnifiques ?

 

Votre livre s’achève sur le récit d’une projection du film un peu particulière à l’Elysée Biarritz, où vous vous rendez seule…

J’ai effectivement demandé à voir le film seule, en tête à tête avec lui. J’avais écrit le livre dans la solitude, je devais en voir ce prolongement cinématographique aussi les yeux dans les yeux. Et soudain pendant la projection, dans une espèce de rêve éveillé, j’ai senti la salle se remplir de spectateurs anonymes qui sont venus s’asseoir et je me suis dit, comme je l’écrit dans le livre : « Que cette histoire-là m’appartienne n’a plus grande importance. C’est à tous qu’elle appartient, aux spectateurs que je sens autour de moi, avec leurs histoires qui se mêlent à la mienne, la reprenne en choeur comme un refrain familier. » J’ai eu un petit pincement au coeur, certes, mais aussi un sentiment de grand apaisement. Je me suis dit que j’avais fait ce que je devais faire, que j’étais arrivée au bout de ce deuxième grand moment de La Dernière Leçon : après le livre, le film reprenait le flambeau.

 

Et les trois images en cascade qui finissent le film ?

J’aime beaucoup l’envolée de cette femme nue, libre, charnelle. Ma mère était ainsi, elle avait un rapport à la nudité très libre. Sans doute à cause de son métier de sage-femme. Il me semble aujourd’hui que ma mère est partout : dans l’air que je respire, dans la lumière. Elle est céleste, au sens non religieux mais sacré du terme. Je ne suis pas croyante mais il y a une présence céleste de ma mère en moi. C’est pourquoi cette envolée me plait infiniment.

Quand au corps mort de Madeleine, on le voit à peine. Dans la réalité, je ne suis pas rentrée dans la chambre de ma mère après sa mort. Je l’ai vue de loin, un peu comme dans le film. Je pense l’avoir dit à Pascale… Et puis enfin on revient sur le vrai visage de ma mère sur le générique de fin, qui « éclaire la salle vide de son sourire radieux. » Ce sont les derniers mots de Suite à La Dernière Leçon.

 

Propos recueillis par Claire Vassé

Entretien avec Noëlle Châtelet

  © Christophe Brachet

Entretien avec Sandrine Bonnaire

Comment êtes vous arrivée sur le projet de La Dernière Leçon ?

Je connaissais Pascale via Antoine Duléry, qui m’avait déjà un peu parlé du projet quand on tournait Salaud, on t’aime de Claude Lelouch mais sans me parler du choix de l’actrice. Le sujet m’intéressait et quand Pascale me l’a proposé, j’ai dit oui tout de suite. Choisir sa mort est complexe mais je crois vraiment que cette décision est acceptable quand, comme c’est le cas dans le film, il s’agit du choix personnel de quelqu’un de complètement conscient qui se sent sur le déclin.

 

Mais qui n’est pas pour autant malade...

Oui, et c’est là où le film est intéressant et pose de manière frontale la question de la vieillesse, qui nous concerne tous. Madeleine a « juste » des signes de vieillesse mais elle n’a pas envie d’y basculer totalement. D’où cette ténacité à aller jusqu’au bout de cette décision. C’est quelque chose que je comprends…

 

Diane gagne en liberté et en vitalité à partir du moment où elle accepte la décision de sa mère.

Oui, elle devient plus solaire. Et ça devient plus solaire entre elle et sa mère. Comme disait Jean-Pierre Améris sur le tournage de C’est la vie, où je jouais une bénévole qui accompagne les gens en fin de vie : « Tant qu’on n’est pas mort, on est vivant. » On tournait avec de vraies personnes mourantes et elles disaient toutes ça. C’était hallucinant de voir leur joie alors qu’elles savaient pourtant qu’elles n’avaient plus que quelques semaines à vivre. C’est aussi le cas pour Diane et Madeleine dans le film. Elles n’oublient pas la tristesse de la situation mais être au pied du mur les rend beaucoup plus présentes à ces derniers moments de vie. J’aime que ce film soit si lumineux avec un sujet tellement grave. En fait, il parle de la vie, non de la mort. Si Madeleine veut décider de sa mort, c’est pour être vivante jusqu’au bout. Commencer à être incontinente, à ne plus pouvoir conduire sont des petites morts qu’elle refuse. Elle ne veut pas être une morte vivante.

 

Son frère Pierre, en revanche n’accepte pas la décision de sa mère...

Oui, il n’y a pas d’au revoir entre lui et sa mère, la colère et l’orgueil ont pris le dessus. Pierre a sans doute reçu la même éducation que sa soeur mais sa nature fait qu’il est coincé dans des codes étriqués et se cramponne à des schémas dans lesquels il espère trouver un équilibre. Il a dû être en rejet de cette mère militante et libre qui a combattu pour le droit à l’avortement… Au bout du compte, c’est beaucoup plus dur pour lui car il va devoir vivre avec la culpabilité d’avoir raté ce dernier adieu.

 

Avez-vous lu le livre de Noëlle Châtelet avant de faire le film ?

Oui, après avoir lu le scénario. La beauté du livre vient du fait qu’il est centré sur la mère et la fille. Contrairement au scénario à la base, qui était beaucoup plus touffu, beaucoup plus dialogué, avec des personnages qui interféraient. Mais Pascale s’est recentré peu à peu sur le coeur du livre et au final, lui est redevenu très fidèle. Tous les personnages autour existent mais ils n’empiètent pas sur le sujet et la mise en scène de cette relation mère-fille. Ce livre n’était pas facile à mettre en image et je trouve que Pascale s’en est superbement sortie.

 

Comment s’est passée la collaboration avec Pascale Pouzadoux ?

On s’est vraiment accompagnées mutuellement. Elle avait son point de vue, elle savait ce qu’elle faisait mais elle était très ouverte à mes suggestions, de mon point de vue de comédienne mais aussi de metteuse en scène. On était très complices sur la fabrication du film.

 

Comment vous a-t-elle dirigées ?

Pascale a fait attention à ce qu’on n’aille pas dans quelque chose de trop mélancolique, sentimental. Par exemple, la scène où Madeleine et Diane se disent au revoir en sachant qu’elles se voient physiquement pour la dernière fois, il nous semblait logique, à Marthe et moi, de mettre beaucoup d’émotion mais à la fin de la première prise, Pascale nous a dit : « Non, ce n’est pas une bonne idée. Soyez au contraire dans une émotion contenue. » Elle avait raison, c’est beaucoup plus fort, plus dur. Dans cette scène, il s’agit pour Madeleine et Diane de trouver le courage de se séparer. J’ai d’ailleurs un geste assez brutal où je rejette Marthe, comme si je voulais m’en débarrasser. Diane a accompagné sa mère jusqu’au bout mais à ce moment-là, elle éprouve une rage et son corps l’exprime.

 

Comment avez-vous vécu la présence de Noëlle Châtelet sur le tournage ?

Sa présence m’a beaucoup chahutée, notamment quand on a tourné la scène du téléphone. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à elle, qui revivait cette situation. Sur d’autres scènes, c’était moins troublant mais sur cette scène des adieux… Je me suis dit que cet effet de boomerang devait être violent pour elle. Ce jour-là, j’ai vraiment joué pour elle. Je voulais être à la hauteur de ce qu’elle avait pu vivre, être dans la justesse totale de cet événement.

Je savais que pour Noëlle, ce film allait être un deuxième deuil, je dirais même le vrai deuil, le deuil final. On en a beaucoup parlé avec Pascale et Noëlle me l’a confirmé.

 

Plus généralement, vous êtes-vous inspirée d’elle ?

Je me suis nourrie de son histoire, de son attachement à sa mère – en même temps, ça ne me paraissait pas compliqué de comprendre qu’on puisse avoir de l’amour comme ça pour une mère –, je l’ai beaucoup écoutée mais je ne me suis pas inspirée d’elle dans le jeu, je n’ai pas essayé d’être une réplique de qui elle est. Le film est adapté de son livre mais moi, je suis avant tout le personnage de Pascale.

Et cette dernière scène au téléphone justement, je ne l’ai pas jouée comme elle l’a vécue. Noëlle m’avait raconté qu’elle avait ressenti un vrai soulagement et n’avait pas pleuré, mais j’ai trouvé plus cinématographique d’amener de l’émotion.

 

Comment a-t-elle réagi ?

Elle est tout de suite venue m’embrasser à la fin de la scène, avec reconnaissance. C’était très fort. Je n’avais pas raconté ce moment de la même manière qu’elle l’avait vécu mais il n’empêche, je racontais la même chose. Je n’étais pas à côté du personnage, ni de la situation. J’ai une profonde admiration pour Noëlle Châtelet. Le choix de sa mère est exemplaire mais l’accepter comme l’a fait Noëlle témoigne aussi d’une grande force car au final, c’est elle qui reste avec cette absence… Je voulais qu’elle soit heureuse du film, c’était très important pour moi, d’autant plus qu’elle n’a pas cédé les droits de son livre pendant très longtemps.

La mère de Noëlle adorait les pierres et celle-ci m’a offert, ainsi qu’à Marthe, une pierre qui lui appartenait. Ce geste m’a énormément touchée. Je ne suis pas fétichiste mais ce petit caillou est resté sur ma table de nuit pendant tout le tournage.

 

Comment s’est passée la rencontre avec Marthe Villalonga ?

On avait déjà tourné ensemble dans Les Innocents de Téchiné. Elle n’y avait pas un grand rôle mais ça a été une vraie rencontre. Marthe a une innocence hallucinante, elle est bouleversante, comme une petite fille. C’est très touchant. Elle avait déjà interprété des rôles dramatiques mais pas suffisamment pour être en totale confiance. Je voyais qu’elle avait souvent le trac et j’avais parfois l’impression que les rôles étaient inversés, que c’était moi la maman. Marthe est une femme très digne, très pudique – un peu comme le personnage d’ailleurs.

 

Comment avez-vous appréhendé la relation très charnelle qui unit cette mère et sa fille ?

Comme un accompagnement. Dans la salle de bain, Diane observe le corps de sa mère qui a vécu et comprend alors que bientôt, il ne sera plus mobile. La preuve, elle aide sa mère à rentrer dans la baignoire. Cette scène m’émeut particulièrement, elle pourrait me renvoyer à ma petite soeur Sabine, qui avait à un moment des difficultés à bouger son corps de jeune femme vieilli prématurément par la médication très forte qu’on lui infligeait. Elle aussi, on était obligée de l’aider.

 

« Le deuil était fait », dit Diane en off à la fin du film… Vous y croyez ?

A partir du moment où Diane accepte la décision de sa mère et qu’elle l’accompagne dans ce désir, elle est déjà en train de faire le deuil. Je pense que quand on perd quelqu’un de très proche, le deuil ne se fait jamais complètement mais si on peut l’accompagner jusqu’au bout, cela y contribue, comme un pansement, une forme de soin pour soi.

La mort est vécue très douloureusement dans notre société mais il y a plein de cultures où ça n’est pas si grave ! Après tout, on ne sait pas ce qui se passe après.

 

La Dernière Leçon s’achève sur le visage de Mireille Jospin...

Terminer sur le visage de Mireille Jospin est un hommage très élégant. Son visage est plus marqué que celui de Marthe Villalonga, il a plus baroudé, il est plus mature mais elles ont la même beauté simple, pleine de vie.

Je pense que ce film va faire polémique car le sujet est encore tabou. Et aussi parce que c’est l’histoire de Noëlle Châtelet mais également de Lionel Jospin. Les décisions prises par cette famille étaient difficiles à accepter, il y a eu des non-dits mais je suis heureuse que cette histoire soit enfin mise en lumière.

 

Dans les deux cas, il s’agit de se battre pour que la loi et les institutions évoluent.

Oui, de se battre pour le respect de la personne et de ses décisions. Je trouve fou et scandaleux que les gens qui veulent mourir dignement soient obligés de partir en Suisse et de payer cinq mille euros. La loi qui autoriserait le choix de mourir doit être discutée très précisément pour éviter les débordements mais je défends ce principe et c’est aussi pour cette raison que j’ai eu envie de faire le film : pour que les choses bougent. Le film n’impose pas de morale, il ne dit pas ce qu’il faut faire, juste que chacun devrait pouvoir être libre de ses choix…

 

Propos recueillis par Claire Vassé

  © Christophe Brachet

Entretien avec Marthe Villalonga

  © Céline-Christophe Brachet

Quelle a été votre réaction quand Pascale Pouzadoux vous a proposé le rôle de Madeleine ?

Quand on me propose quelque chose, je suis ravie qu’on pense à moi, ça fait plaisir ! Et quand j’ai lu le scénario de Pascale, je me suis dit : « C’est pour moi, je ne veux pas qu’ils prennent quelqu’un d’autre ! » Madeleine est un très beau personnage et La Dernière Leçon est une très belle histoire, avec au centre un sujet d’actualité qui me parle...

 

... mais qui est grave.

Oui, mais pour autant, cette femme n’a rien de triste. Elle a pris une décision, point final. Et rien ne la fera changer d’avis, quoi qu’en pensent les autres. Je me suis attachée à la force de ce personnage. Quand elle parle à sa fille ou ses proches, elle est joyeuse et sereine. Elle n’est pas mourante, ni malheureuse, elle sent juste qu’elle va aller de plus en plus mal et elle ne veut pas partir en diguedille. A plusieurs moments, elle dit qu’elle souffre, qu’elle a trop mal. Elle veut quitter sa vie « en bonne santé ».

 

Elle possède cette force aussi parce qu’elle a vécu sa vie pleinement.

Mais bien sûr ! Cette femme ne se prive de rien en partant. Elle a tout eu dans sa vie riche d’expériences : un métier qu’elle a vécu avec passion, un mari et des enfants qu’elle adore… Elle n’a pas pris sa décision n’importe comment, par dépit ou désespoir.

 

Comment avez-vous dosé le mélange de vitalité et de fatigue qui émane de Madeleine ?

Je crois que ça vient du scénario. Apparemment Madeleine est en bonne santé mais il y a cette fatigue, cette fatigue inhérente à la vieillesse. Par moments, elle souffre parce qu’elle a mal aux reins mais c’est à peine esquissé, elle n’est pas dans la plainte, on doit plutôt le deviner : elle ne va pas bien et puis ça passe, « normalement », comme dans la vie. Je n’ai pas vraiment pensé mon personnage en termes d’âge et de vieillesse. Que Madeleine ait soixante dix ou cent ans, peu importe pour moi. L’essentiel est qu’elle est en vie et que tant qu’elle vivra, elle ne se laissera pas aller, elle n’aura pas le corps qui tombe. C’est donc avant tout son caractère et sa simplicité qui m’ont guidée.

 

La scène d’accouchement sur le banc de l’hôpital est plutôt rocambolesque...

Madeleine est fatiguée mais il faut qu’elle aide cette femme, qu’elle tienne jusqu’au bout, qu’elle donne la vie pour la dernière fois avant de partir. Elle va perdre la vie, elle donne la vie… Quand elle sort le bébé du ventre de cette femme, elle est heureuse, elle le regarde émerveillée, sachant que cet accouchement est son dernier. Et puis elle se retrouve seule et ses forces s’écroulent. Je crois que cette scène est le moment du film où l’on sent vraiment à quel point elle est épuisée.

 

Comment s’est passé le tournage ?

Pascale et moi ne nous connaissions pas mais le contact a été immédiat, on s’est tout de suite bien entendues. On avait les mêmes sensations sur le personnage, pas besoin de s’expliquer. Pascale m’a sans doute donné des indications de jeu mais je me souviens surtout de notre complicité. Plus globalement, toute l’équipe était épatante. On ne dit pas assez combien c’est important sur un tournage, une équipe calme, posée… Surtout pour ce genre de film. On riait aussi de temps en temps, bien sûr, mais ce climat de sérénité m’a aidée à me concentrer, à entrer dans le personnage.

 

Et la présence de Noëlle Châtelet sur le plateau ?

Quand on s’est rencontrées avec Noëlle avant le tournage, lors d’un déjeuner avec Pascale et Sandrine, on a bavardé, parlé bien sûr de sa mère mais, c’est l’histoire racontée par le scénario qui m’a guidée avant tout – j’ai d’ailleurs préféré lire le livre de Noëlle Châtelet après le tournage. Pour moi, sa présence n’a pas beaucoup compté car j’étais dans ma bulle avec Sandrine et Pascale. C’était ça l’important à ce moment-là : Pascale, Sandrine et mon personnage qui prend cette décision importante. Rien d’autre.

 

Sa grande complicité avec sa mère aide Diane à accepter sa décision.

Au début, Diane est dans le refus parce qu’elle a mal au coeur. Elle voudrait garder sa mère un peu plus longtemps, profiter de sa présence. Mais elle comprend sa décision et surtout, elle connaît bien sa mère. Elle sait qu’elle peut lui parler mais elle sait aussi que rien ne la fera changer d’avis, elle ira jusqu’au bout ! Malgré leurs différends, Madeleine et Diane sont en osmose et cette complicité, je l’avais moi-même avec Sandrine Bonnaire dans la façon de réagir, de jouer. Je l’ai considérée d’emblée comme ma fille, une fille charmante, qui adore sa mère. J’avais rencontrée Sandrine sur le tournage des Innocents de Téchiné. On s’était juste croisées mais cela m’avait suffit pour me rendre compte que ça fonctionnait entre nous, qu’il y avait une familiarité.

 

La relation entre Madeleine et sa fille est aussi très charnelle.

Bien sûr, c’est charnel, là encore grâce à Sandrine, que J’avais naturellement envie de prendre dans les bras. Dans la vraie vie, je suis quelqu’un qui n’embrasse pas, je n’aime pas ça. Mais en tant qu’actrice, dans l’intimité du film, c’est autre chose… La scène dans la baignoire est très belle parce qu’elle est charnelle mais en même temps pleine de pudeur. J’avais d’ailleurs prévenu Pascale : « A poil dans la salle de bain, je ne m’y mets pas. Je te le dis tout de suite ! » Pascale m’a rassurée, ce n’est pas ce qu’elle me demandait. En général, je ne regarde pas les rushs mais cette scène là, j’ai quand même eu besoin d’aller voir comment elle avait été filmée… A un moment, on voit l’amorce du sein mais ça ne m’a pas gênée. Et puis dès l’instant où je fais confiance au metteur en scène, il peut faire ce qu’il veut.

 

C’est rare qu’on vous propose des rôles dramatiques...

Oui, et ça m’a beaucoup touchée que Pascale le fasse, moi qui suis avant tout connu pour mes rôles rigolos et populaires – hormis chez Téchiné. Par moment, j’avais d’ailleurs l’impression de me retrouver sur l’un de ses tournages. Ca fait du bien d’être aussi un peu prise au sérieux !

 

Vous apportez néanmoins beaucoup de malice à Madeleine...

Mon personnage est intéressant justement parce qu’il a des facettes très différentes. A certains moments, Madeleine rit, elle est contente, comme une enfant. Et à d’autres, elle est plus dure, notamment quand elle doit imposer son choix. Cette femme a souffert, elle a connu la guerre. Ce n’est pas une mémé juste gentille, elle est traversée par des sentiments et des états divers. Au final, je l’ai peut-être ramenée à moi beaucoup plus que je ne le pensais. Dans la vie, j’ai la même intransigeance qu’elle : je n’aime pas qu’on discute les décisions importantes que j’ai prises !

 

Avec ce film, vous mettez votre popularité au service d’une cause encore tabou...

Je n’ai pas du tout réfléchi en ces termes quand j’ai fait le film, je ne me suis pas laissée embrigadée par son sujet ! J’ai avant tout pensé au personnage et au scénario, et au fait que j’allais faire tout mon possible pour contribuer à ce que celui-ci devienne un beau film. Il n’empêche, je veux défendre la cause de Madeleine. Cette femme est formidable, j’ai envie de partir comme elle, sereinement, sans souffrir, quand je l’aurai décidé, sans embêter personne.

 

Propos recueillis par Claire Vassé

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